Living and Presumed Dead, 1983 - 1985

Installation multimédia
1 projecteur de diapositives, 167 diapositives (35mm), 24x36, couleur, dont 10 obscures/noires,
1 CD audio (anglais), son stéréo, 25’, 1 socle plexiglas


L'œuvre commence par la projection d'une scène inhabituelle au théâtre : vingt personnages sont alignés côte à côte comme pour un salut à la fin de la représentation. Ce qui va se dérouler devant nous est le récit de la fi n d'un spectacle ou, plus exactement, de la fin brutale de l'acrobate Capax, avaleur de sabres, qui s'est coupé la langue et a disparu. Est-il mort ? Le doute demeure. Plusieurs acteurs/ narrateurs, correspondant à l'image de certains personnages projetée sur le mur – dont Chris, le fils de Capax, deux femmes, Abbas et Borras, un mystérieux personnage dénommé Mr., dont on ne sait s'il est le meurtrier, un autre, ou d'autres qui sont peut-être Capax lui-même –, interviennent dans cette étrange histoire où se mêlent le carnaval, la peinture, le cirque, le théâtre de marionnettes, le tableau vivant, l'énigme policière et le drame shakespearien. Le narrateur entame d'ailleurs son récit par un air (" Greensleeves ") que l'on attribue souvent aux " chansons " du théâtre de Shakespeare, et la tessiture et le ton de sa voix sont proches de ceux des acteurs qui portèrent cet auteur à la scène ou à l'écran. On assiste ainsi à une figuration théâtrale fonctionnant comme une projection cinématographique primitive, tout en faisant référence à la représentation picturale. Par ses faux-semblants, déguisements et fausses pistes, la mort de l'acrobate Capax fait penser au film d'Alfred Hitchcock Murder ! (1930), et, bien évidemment, à la scène où l'assassin homosexuel, un trapéziste déguisé en femme, poursuivi par la police lors d'une représentation, se pend devant le public au-dessus de la piste. Au mélange des genres et des époques de Living and Presumed Dead s'ajoutent les narrations en voix off des protagonistes – joués tour à tour par le même acteur – qui cherchent à déterminer si celui qui est présumé mort (Capax) est ou non vivant. Montrer et dire, occulter et taire, cacher et dévoiler, telles sont les structures principales d'un récit où les permutations répétées, les apparitions et disparitions des personnages se présentent comme une sorte de puzzle immense qu'il faut recomposer pour connaître la logique de l'histoire, mais aussi comme une autre manière de cacher la vérité et de la faire disparaître, tout comme on a fait disparaître le corps de la supposée victime. Comme dans la plupart des meurtres des énigmes policières, la vérité est ici celle du corps, car le retrouver c'est savoir la vérité. Le savoir serait donc lié non au système discursif de l'œuvre ou aux discours des personnages, mais à la présence ou à la non-présence d'un corps. Alors même queLiving and Presumed Dead est entièrement construit sur des perceptions visuelles et des modalités discursives, ce qui manque n'est pourtant ni visuel ni discursif mais corporel, littéralement le " corps du délit ", lequel est en réalité absent, ou supposé tel, dès le début de la projection. Et c'est précisément parce que ce corps manque dans le spectacle que le spectacle a lieu. Living and Presumed Dead propose une structure optique et narrative comprenant divers manques. On peut distinguer les transitions entre les images et la narration, puis à l'intérieur de la narration elle-même, dans la mesure où l'acteur joue alternativement tous les personnages du récit, ainsi qu'à l'intérieur des images, puisque ces dernières apparaissent et disparaissent par des fondus enchaînés. Autre forme de substitution et de remplacement, le fondu enchaîné pourrait être la métaphore du fonctionnement de toute l'installation, en ce sens que ses transitions s'appliquent à la matière concrète des images et des sons, mais aussi et surtout aux passages des mots aux images et des images aux mots. Il s'agit là plus d'un effet que d'une réalité optique ou linguistique, l'effet étant recherché par Coleman afin de marquer non plus tellement des séparations ou des unifications nettes et parfaitement défi nies relatives à la problématique du manque, mais le fait que ce manque n'est rien d'autre que le résultat de ce qui est visible et énonçable, un manque qui serait comme le résidu de différentes transitions. Ce qui nous reconduit à la question de la présence ou non-présence du corps de Capax, de sa mort réelle ou présumée : le corps étendu sur le sol à la fi n du récit est-il une simple transition, c'est-à-dire, est-ce encore Capax revenu d'on ne sait quel espace-temps, ou bien est-ce son fils – qui a entre-temps endossé le costume de son père – qui se fait tuer, ou bien encore s'agit-il d'une tout autre personne ? C'est oublier que tous deux sont des acteurs et qu'ils jouent à être quelqu'un d'autre, qu'ils ne font pas ce qu'ils disent et ne disent pas ce qu'ils font : ils sont en représentation. Une représentation dont nous sommes les dupes, puisque le suprême subterfuge tient sans doute à faire croire qu'un corps a disparu ou vient de disparaître, alors qu'il est peut-être là, sous nos yeux, sous tel ou tel déguisement. Ce qui manque n'est peut-être pas un corps, cela pourrait être un manque du récit, un trou dans l'histoire qui nous est racontée.


 


Jacinto Lageira