Voices of Reason / Voices of Madness, 1984

Installation multimédia
2 projecteurs vidéo, 2 fichiers numériques, 1 (couleur, fixe) et 1 (noir et blanc, en mouvement), 1 dispositif , 1 caisson de basse, 2 haut-parleurs,1 CD audio, son stéréo, 2'30


Produisant essentiellement un travail de photographie, lequel peut parfois prendre la forme d'objets sculpturaux, dont le sujet est le corps humain, avec Voices of Reason/ Voices of Madness Geneviève Cadieux a su habilement opérer des déplacements quant aux questions du photographique et du filmique compris comme trace, empreinte ou restitution du corps capté par les appareils. Si les dimensions cinématographiques et sculpturales sont déjà présentes dans certaines œuvres photographiques, notamment par leur échelle et leur emplacement, la présente installation comporte cette nouvelle particularité dans l'ensemble du travail de l'artiste qui est d'intégrer le temps. Plus exactement, de pouvoir donner à expérimenter l'écoulement d'une durée. Contre toute apparence, Voices of Reason/Voices of Madness ne se déroule pourtant pas dans un temps filmique et narratif, même si ces aspects sont clairement évoqués, puisque du point de vue strictement matériel l'installation est constituée uniquement de photographies fixes. Dans une salle plongée dans la pénombre, deux immenses projections photographiques de deux visages de femmes se font face. L'un des visages, pris frontalement, présente une physionomie paisible, sans expression particulière, et semble regarder l'autre visage situé en vis-à-vis. Ce dernier exprime, quant à lui, la douleur, soit physique, soit mentale, comme un cri retenu ou qui va jaillir. Alors que la première projection demeure parfaitement fixe, il apparaît que la seconde évolue lentement, se dissolvant, se modifiant progressivement vers le flou, jusqu'à ne plus laisser percevoir le visage initial. Il s'agit simplement d'une projection en mouvement de la même image, dont la mise au point est volontairement déréglée, défaisant par là même le visage, le déformant pour le réduire à néant. De temps à autre, un puissant bruit se fait entendre, sorte de bref coup de timbale venant surprendre le spectateur dans sa contemplation, et comme venant contredire le flux temporel dans lequel il se laissait glisser. Le titre de l'œuvre est une indication concernant les possibles significations à lire sur les deux visages, l'un exprimant la raison, et l'autre quelque folie passagère ou définitive. La souffrance qu'exprime nettement le dernier visage pourrait être liée à l'un de ces états si psychiquement douloureux que l'être humain perd la raison, n'est plus lui-même, peut littéralement se défaire. La lente élision du visage en fondu enchaîné perçue par le second pourrait être également comprise non plus comme deux personnes, mais une seule, prise dans ses tourments et prenant simultanément conscience de sa déraison. Le spectateur, situé entre ces deux états, entre deux corps et au moins deux significations possibles, peut lire dans cette installation la métaphore de sa présence à lui-même – que rappelle brutalement le coup assourdissant – et de son attitude face à ces visages. Il sait bien que la déraison est le fruit de songes, et que ceux-ci ont leur logique ; il sait aussi que l'on peut basculer à tout instant dans l'irréparable, dans la disparition de soi-même.


 


Jacinto Lageira